Le processus de certification appliqué à la simulation : perspectives des experts


Publié le 22 juin 2023 13:55:00

 

Propos recueillis auprès de Pierre-Pascal BOUF, représentant MICADO. 

La simulation est aujourd'hui de plus en plus répandue et commence à être reconnue par un nombre croissant de personnes, y compris les non-spécialistes et les organismes de certification. Que ce soit pour certifier entièrement un système de manière virtuelle ou simplement un composant infime ou une modification mineure, il apparaît que la simulation peut toujours aider dans le processus de certification.

Selon Joshua Kaizer [1] les premières validations réalisées à l'aide de simulations ont réellement commencé en 1974 avec la réglementation fédérale, principalement dans le domaine nucléaire. Aujourd'hui, nous constatons que la simulation est présente dans presque toutes les industries et en particulier celles où les risques sont élevés (et où la réglementation est la plus stricte).

On peut cependant distinguer deux principales catégories d'industries. D'une part, celles qui ne peuvent pas réaliser des essais de validation sur l'ensemble du système, souvent unique, de manière rentable et représentative (comme les centrales nucléaires, les fusées, les bâtiments, le matériel médical, les structures offshore, etc.). D'autre part, celles qui produisent des produits en série et qui sont systématiquement soumises à des essais d'homologation physique (comme les voitures, les avions, les vélos, etc.). Le secteur ferroviaire se situe quelque part entre ces deux catégories, en fonction de la perspective, que l'on se concentre sur un wagon ou sur un train entier.

Dans les deux catégories, tous les intervenants ont souligné la nécessité d'une forte collaboration et d'une communication entre les différents acteurs impliqués. Il apparaît également que les progrès de la simulation apportent de plus en plus de fiabilité et de crédibilité du côté de la certification. Cependant, pour être reconnue par un organisme, il est toujours nécessaire de prouver la représentativité de la simulation.

Bien sûr, certaines simulations sont plus précises que d'autres. Par exemple, la crédibilité n'est pas la même entre une simulation d’une poutre en flexion et une simulation de la propagation d'un incendie sur une plateforme pétrolière. Faire accepter une simulation par un organisme peut être un projet long, pouvant durer de quelques mois à plus de 10 ans dans le domaine du médical, mais a contrario, dans le bâtiment, le numérique est un passage obligé pour la certification. La démonstration de la cohérence de la simulation nécessite toujours l'identification et l'évaluation des incertitudes, ainsi que la quantification de leur influence.

Cela peut passer par différentes échelles, comme le montre la pyramide de validation classiquement utilisée dans plusieurs industries, notamment aérospatiale, qui consiste à valider à différentes échelles, par exemple en mesurant les incertitudes au niveau d'un échantillon et en les propageant à l'analyse du système complet. Une approche basée sur les similitudes peut également être utilisée, comme l'analyse de la résistance des plus grosses pompes en fonctionnement ayant subi des séismes, ce qui permet de valider l'approche, c'est d'ailleurs ainsi que des "classes" d'équipements ont été créées. Quelle que soit la méthode, la validation se fait toujours par étapes, par apprentissage, et avec le bon sens de l'ingénieur, ce qui explique que, encore aujourd'hui dans le nucléaire, une validation ne peut se faire sans une visite sur site, appelée Walkdown WD. De la même manière, les attentes en termes de précision ne seront pas les mêmes selon les risques. Par exemple, une centrale nucléaire qui explose par rapport à une fusée, une voiture ou un genou douloureux.

Dans tous les cas, il y a donc besoin de recalage, d'échanges entre les acteurs, de données réelles et d'analyse des incertitudes. L'homologation peut être obligatoire pour des raisons de sécurité ou facultative en tant que garantie de confort ou preuve de l'impact écologique. Finalement, dans ces deux mondes, on distingue deux approches de conception : celle qui conçoit en fonction de la certification et celle qui utilise la simulation comme une aide à la certification.

Pour les industries qui ne réalisent pas de prototypes, l'enjeu de la simulation est principalement l'aide à la certification. Avec une approche généralement multi échelle, l'utilisation de coefficients de sécurité élevés et l'héritage du savoir-faire métier, ces industries ne partent pas de zéro, et les organismes de certification ont été les premiers à s'intéresser à la simulation, car ils sont incapables de valider ou de certifier un produit fini sans aller jusqu'à la rupture.

Dans les autres industries, la simulation est souvent présente en amont, et la certification est réalisée par des essais réels. Les organismes de certification, étant équipés de bancs d'essai, ne sont pas forcément les plus faciles à convaincre de passer au numérique. Le bureau d'études inclut alors la certification comme une spécification supplémentaire dans son cahier des charges et son développement. Il est généralement plus facile de faire valider par la simulation les cas les moins critiques, que ce soient des designs ou des scénarios variables. Souvent, après une validation physique corrélée par la simulation du pire cas, la validation des variantes peut être réalisée uniquement de manière numérique, comme dans le cas de gammes d'avions, de voitures, etc.

Parfois, il peut être difficile de convaincre les acteurs, car il y a déjà un certain avancement en matière de R&D, ou il peut être nécessaire de réaliser un investissement important dans la corrélation pour prouver la fiabilité de la simulation.

En conclusion, les experts semblent unanimes et reconnaissent :

  • une forte variété des liens entre organismes de certifications et simulation,
  • des progrès dans la simulation qui aide à sa crédibilité et donc à plus d’utilisation de la certification,
  • un besoin systématique de plus d’échanges et de communication entre les différents acteurs, 
  • la nécessité de toujours évaluer les risques et les incertitudes.

Lors du séminaire NAFEMS du 23 mai dernier [2], nous avons pu avoir un aperçu de l'état des lieux de la maturité et des liens existants entre la certification et la simulation dans différentes industries.

Résumé des interventions lors de la journée NAFEMS
1. "La certification du jumeau numérique" par Alexandre Bompard, Socotec.
Socotec est un acteur majeur dans le domaine de la simulation et de la certification des bâtiments. Avec plus de 40 types de certifications disponibles, le Building Information Model/Modeling and Management (BIM) joue un rôle central en intégrant la conception assistée par ordinateur (CAO) pour la modélisation du bâtiment, les processus de modélisation et la collaboration. L'objectif de la simulation est de valoriser le modèle numérique et d'être en mesure de le mettre à jour. Le bâtiment de Centrale Supelec, où s'est déroulé l'événement, est l'un des premiers bâtiments à avoir obtenu la certification BIM. Le modèle BIM existe depuis 2017 et permet la maintenance du bâtiment, la gestion des flux, ainsi que la simulation thermique, qui est réalisée à partir des données du BIM, mais en dehors de l'outil lui-même. Le potentiel du BIM est clairement identifié, notamment lorsqu'il est associé à des mesures en temps réel. Il permet d'optimiser les dépenses, que ce soit en termes de maintenance ou d'énergie, d'où l'émergence du concept de "green BIM Model". En termes de coûts, l'exploitation et la maintenance s'élèvent en moyenne à 17 €/m2 par an, tandis que la création du BIM coûtera a priori moins de 16 €/m2. Si l'on considère des périodes de maintenance dépassant les 20 ans, il devient évident que les avantages apportés par le BIM sont rentables.
Le BIM se distingue également par son caractère multi-acteurs, impliquant le maître d'œuvre, le maître d'ouvrage, l'exploitant, etc. De plus, la propriété intellectuelle est répartie entre les différents acteurs.
2. "Modelling & Simulation supporting Certification in the Aerostructures Domain (ENG)" par Willem Doeland, EASA.
Dans le domaine de l'aérospatial, la certification par la simulation commence à se développer mais, le plus souvent, cela se fait sur un produit dérivé. Une version est validée par des essais, puis les ingénieurs peuvent s’appuyer sur la simulation pour valider une variante de la version d'origine. Dans tous les cas, une méthode de validation bottom-up sera utilisée où, à la base de la pyramide (le bottom), les ingénieurs valident des échantillons, puis des composants, des sous-systèmes, etc., jusqu'à la structure complète. La certification se fera sur la structure complète lors des essais mais pour la simulation il faudra démontrer que les incertitudes sont maîtrisées. Une analyse et une mesure des incertitudes à chaque niveau de la pyramide sont donc nécessaires. Le secteur a besoin de travailler en coopération entre les autorités et les acteurs importants de la communauté. La crédibilité est renforcée par la réduction du nombre d'essais. Des erreurs entre 2% et 10% sont acceptées en fonction de la zone et de la classification de la gravité.
3. "How simulation supports certification in the orthopedic industry" par Philippe Favre, Zimmer Biomet
Dans le domaine médical, on recense plus de 2 millions de dispositifs différents répartis en 4 classes de niveau de risque. La validation de ces dispositifs exige de fournir des preuves de plus en plus solides. La réglementation en Europe implique une multitude d'acteurs. Zimmer, par exemple, possède plus de 5000 modèles d'os à son actif. Lors des essais cliniques, le suivi de la vie des patients est primordial. Les simulations jouent un rôle crucial, notamment pour évaluer des aspects tels que la surface d'appui du genou, les systèmes d'implants dans l'épaule (où plus de 100 analyses par éléments finis sont effectuées pour déterminer les pires scénarios), l'interaction des implants dans un CRM, la personnalisation pour les cas extrêmes, et bien d'autres. Les avantages de la simulation sont évidents, avec des gains de temps et d'argent substantiels. Depuis l'introduction d'une norme en 2018, la crédibilité de la simulation s'est renforcée.
Cependant, plusieurs défis subsistent, tels que l'absence de capteurs, la complexité inhérente à certains aspects du domaine médical, l'incertitude et la variabilité importantes, ainsi que l'importance du rôle du chirurgien lors de la pose de l'implant et des différents cas de charges auxquels les dispositifs sont soumis. Les données d'entrée nécessaires pour les simulations comprennent l'anatomie, la qualité des os, les charges in vivo, et bien d'autres.
Bien qu'il existe certains standards, leur portée est limitée et de nouvelles découvertes sont faites en continu. Bientôt, une première mondiale sera réalisée avec un implant doté de capteurs. De plus en plus, les ingénieurs modélisent ce qui se passe chez le patient, avec une optimisation personnalisée grâce à la création de son jumeau numérique. Les essais de validation appelés "In Silico Clinical Trials" (ISCT) suivent entre 50 et 1000 personnes sur une période de 10 ans, permettant ainsi d'enrichir les modèles de simulation. Cependant, ces essais sont coûteux et chronophages. L'Avicenna Alliance pousse également à développer davantage la simulation.
Aujourd'hui, l'équipe de calcul compte 12 personnes, contre 4 il y a trois ans, tandis que les essais sur 20 000 personnes mobilisent 60 professionnels.
4. "Simulation and confidence for compliance in the energy sector" par Steve Howell, Abercus.
Dans l'industrie offshore, depuis 1990, la problématique principale concerne les explosions, les incendies, les vents, etc. En 1999, une approche probabiliste des charges a été mise en place, suivie d'une comparaison à l'aveugle avec le feu. L'ASME V&V (Verification and Validation) a développé 10 diagrammes détaillés en 2006, comprenant de nombreuses procédures, normes et standards. Nafems est d'ailleurs impliqué dans de nombreux sujets. Le point clé est d'avoir confiance en la simulation, ce qui nécessite rigueur, efforts et des benchmarks à l'aveugle. Cependant, la confiance s'est érodée en raison de l'inconsistance.
5. "Contribution de la simulation à la qualification aux séismes des équipements nucléaires" par Pierre Sollogoub, AFPS
Dans cette intervention Pierre Sollogoub met en évidence trois niveaux de séismes et trois niveaux de risque, dont la méthodologie de qualification dépend du type d'équipement et concerne principalement la mécanique. Elle consiste en une combinaison d'analyses, d'essais, d'analogies et de retours d'expérience. Un point atypique est la qualification "en marchant", effectuée par l'ingénieur lui-même.
Des modélisations fluides-structures et des analyses de risques en fonction des accélérations sont utilisées, ainsi qu'un retour d'expérience abondant. Les données des installations industrielles ont été utilisées pour définir des spectres de référence et des classes d'équipement, et des analyses continuent d'être effectuées dans ce domaine. La difficulté réside dans la vibration de machines ou de systèmes de très grande taille. La plus grande table vibrante dans ce domaine se trouve au Japon et peut supporter jusqu'à 1200 tonnes.
6. "Introduction de la simulation numérique dans le process d’homologation des systèmes ferroviaires" par Mac Lan Nguyen-Tajan, SNCF Voyageurs
Dans son intervention Mac Lan Nguyen-Tajan souligne l'importance de la certification à la fois pour le matériel (hard) et les logiciels (soft). Des tests de collision (crash tests) sont réalisés mais le train complet est testé uniquement de manière virtuelle. La stabilité face au vent est également évaluée. Plusieurs programmes de recherche sont en cours en Europe. Les exigences, la crédibilité et la composition des systèmes sont des éléments clés abordés dans cette intervention. La SNCF joue un rôle triple en tant qu'exploitant, donneur d'ordre et bureau d'études.
7. "Regulation of Modeling and Simulation" par Joshua Kaizer, U.S. Nuclear Regulatory Commission
Joshua Kaizer souligne dans son intervention que la Validation and Verification with Uncertainty Quantification (V&VUQ) existe depuis 1974, mais l'utilisation de la simulation dans le domaine de la réglementation a connu une évolution significative avec l'arrivée de la FDA en 2005. Initialement, les simulations atomiques étaient utilisées pour les armes nucléaires dans le but d'éliminer les essais nucléaires. Cependant, les perspectives ont changé au fil du temps. La réglementation est classée en fonction de différents critères, tels que le niveau d'importance d'une décision en fonction des résultats de la simulation, le niveau de confiance accordé à la simulation et le niveau de risque associé. Cette approche met en évidence l'importance de l'évaluation et de la réglementation des modèles et des simulations pour garantir leur fiabilité et leur validité dans le cadre des décisions réglementaires.
8. "Tendances et évolutions de l'utilisation de la Simulation Numérique pour l'homologation dans l'automobile" par Stephane Regnier, Emmanuel Arnoux et Francois Lopez, Renault
Dans cette intervention, Stéphane Régnier, Emmanuel Arnoux et François Lopez soulignent que Renault utilise de nombreux logiciels et que pour valider complètement une voiture, il faut remplir 70 dossiers distincts pour les homologations partielles. Actuellement, 8 de ces homologations peuvent être proposées par simulation, mais cela dépend encore des organismes réglementaires qui diffèrent d'un pays à l'autre. L'intérêt de la simulation est de gagner du temps et de réduire les coûts. Cependant, une fois qu'une validation a été effectuée en amont du projet, ou du moins plus tôt qu'auparavant, il est essentiel de garantir que la maquette numérique utilisée reste figée. En ce qui concerne la sécurité, la simulation permet d'identifier les scénarios les plus critiques. La corrélation entre les simulations numériques et les essais physiques se fait par le biais d'un système spécifique qui fournit un score d'évaluation.
9. "CBA & Tests dynamiques sièges d’avion : Certification par Analyse supportée par des essais" par Sebastien Dépierre, Safran Seats
Dans cette intervention, Sébastien Dépierre mentionne que Safran Seats effectue des essais de crash-test sur les sièges et qu'il existe différents types de validation, tels que les tests de chute et d'accélération, avec le respect de critères tels que la non-rupture et les valeurs HIC (Head Injury Criterion). L'autorité réglementaire CBA (Certification by Analysis) et Airbus publient des méthodes pour aider à la certification numérique. Cependant, cette approche n'est appliquée qu'aux déclinaisons ou lorsqu'il est possible de prouver la corrélation avec un modèle physique certifié. La validation se fait par étapes dans une pyramide progressive. Au fur et à mesure, l'utilisation de l'analyse numérique peut être étendue. On commence avec une tolérance d'erreur de 2% au niveau de l'échantillon, puis 5% lors de l'intégration des liaisons, 8% pour les composants et enfin 10% pour les sous-systèmes.
Lors d'une certification globale, il est possible de recalibrer certains composants, souvent la position du mannequin, afin de démontrer la validité du modèle numérique. Il existe une collaboration étroite entre Airbus et l'EASA (European Union Aviation Safety Agency). L'idée est de remplir progressivement la pyramide de validation en utilisant l'analyse numérique pour gagner en efficacité et en précision.

[1] U.S. Nuclear Regulatory Commission

[2] Comment La Simulation Supporte La Certification?