De l’intérêt pour l’ingénieur de ne pas utiliser inconsidérément les tableurs
Publié le 10 janv. 2023 11:00:00

L’intégration de l’utilisation des tableurs comme par exemple Excel dans les entreprises s’est principalement effectuée grâce à leur coût très faible et leur facilité d’utilisation. Ils peuvent être sources d’erreurs catastrophiques, notamment dans les domaines de l’ingénierie, où ils sont largement utilisés pour des tâches diverses et variées : création de modèles de calculs internes, suivi de projet, suivi de stocks matières, calcul de devis, ...
Les tableurs sont très utilisés dans les équipes projets comme points d’entrées à de nombreuses décisions. Un tableur est souvent le premier outil que les ingénieurs ou les scientifiques ont en main lorsqu’ils traitent des données numériques. Le diagnostic des incohérences est certainement la plus grosse contrainte de ces outils : il est presque impossible, vue la difficulté d’interprétation et de lecture des formules, de pouvoir valider le fonctionnement de feuilles de calculs de tableurs. Il est par exemple très difficile de pouvoir contrôler les unités des valeurs calculées, des erreurs peuvent ainsi s’insérer dans les tableurs contenant de nombreuses cellules. Il est nécessaire de réaliser des audits souvent lourds pour s’assurer de la validité du modèle.
La majorité des feuilles créées n’utilise pas la possibilité offerte généralement par ces outils de renommer les cellules pour rendre les formules plus lisibles, tant la fonction pour renommer est lourde à utiliser. De manière générale, l’approche "objet" est inexistante, ce qui rend les feuilles de calculs très instables :
• une quantité de données trop importantes est très difficile à gérer et rend l’approche qualité et la validation des résultats difficiles à mettre en oeuvre,
• l’utilisation du copié-collé, pratique courante, est une source d’erreur évidente (décalage des références, prise en compte de mauvaises valeurs, ...),
• la gestion des références croisées sur la base de données qui sont souvent dupliquées est très problématique. Il n’est pas assuré que la mise à jour après la modification d’une cellule soit correctement répercutée sur l’ensemble des feuilles.
La traçabilité des différentes modifications, si importante dans la gestion de projet, est presque impossible à mettre en place. Il est ainsi très difficile de sécuriser efficacement tout ou partie d’une feuille de calcul. La possibilité d’automatiser des sous-ensembles de calcul est loin d’être évidente, à part en utilisant des scripts dont la pérennité est difficile à maîtriser.
Un groupe de travail européen a été créé sur la gestion des erreurs de feuilles de calcul. Ce groupe, appelé EuSpRig (eusprig.com), a pour mission de publier les bonnes pratiques et les informations sur l’état actuel de la gestion des risques liés à l’utilisation de tableurs. Une conférence est organisée tous les ans permettant de faire le point sur des études de cas d’assurance qualité, de la gestion des risques, des bonnes pratiques, des problématiques liées aux facteurs humains et psychologiques, de la maintenance continue et l’assistance aux utilisations, de la surveillance de l’utilisation des grandes feuilles de calcul, ...
La section « Horror Stories » disponible sur le site recense quelques perles de la mauvaise utilisation de tableurs
Il est certain qu’une erreur humaine peut s'insérer dans n’importe quel système informatique, mais les systèmes de type tableurs y sont particulièrement sensibles. Selon (Panko, 2005), 88% des feuilles de calcul contiennent des erreurs. Selon le rapport (IDC, 2017) environ 55 milliards d’euros par an sont gaspillés en Europe en raison de la répétition d’erreurs dans les feuilles de calcul. Chaque utilisateur de feuille avancée peut passer jusqu’à 9 heures par semaine d’efforts répétés pour mettre à jour les sources de données, une dépense de 10 000 euros par an en moyenne par utilisateur.
Dans le cadre des accompagnements de MICADO auprès des PME / TPE pour des projets pilotes en ingénierie numérique, nous avons pu constater la presque hégémonie de l’utilisation des feuilles de calcul type Excel pour les modèles mécaniques, matériaux, ... Certaines feuilles de calcul sont ainsi très avancées et contiennent une modélisation de la connaissance de l’entreprise très poussée. Par contre, les ERP ont très majoritairement remplacé les feuilles de calcul pour la gestion des projets, de la comptabilité, de la gestion des risques et la conformité, ...
Nous avons pu constater que dans les TPE la gestion de suivi de projet est encore traitée sur des feuilles de calcul type Excel, avec des lignes interminables de tâches à réaliser, impossibles à tenir à jour. Ces tableurs appelés SdP (Suivi de Projet) sont en plus souvent reliés à des feuilles de calculs permettant de déterminer des valeurs à des données techniques. Il est également très courant dans les projet TPE / PME d’avoir de nombreux fichiers de calcul de type Excel reliés entre eux, dont il est très facile de rompre des liens en réalisant des copiés-collés.
Il n’est pas question ici de tirer à boulets rouges sur un outil très pratique tant que le nombre de données reste limité. Mais dès qu’une feuille de calcul contient de trop nombreuses données, des données croisées, de nombreuses formules, ... il est absolument nécessaire de mettre en place une nouvelle démarche. Cela peut être l’utilisation de bonnes pratiques ou des programmes permettant de créer des bases de données sur la base des feuilles de calculs (comme par exemple PowerPivot pour Excel). Mais le plus intéressant est d’utiliser des systèmes informatiques permettant de gérer la traçabilité des données et leur unicité au travers d’une plateforme collaborative unifiée. De nombreux outils sont disponibles sur le marché. Ils permettent d’automatiser les étapes d’analyse grâce à des processus, intègrent des algorithmes de Machine Learning pour des analyses poussées, ...
Il serait intéressant d’avoir sur le marché un outil aussi simple d’utilisation qu’un tableur tel qu’Excel permettant de lever les contraintes sources d’erreurs précisées plus haut, avec la possibilité de créer des processus.
Sources :
- Avis d’expert Usine nouvelle, 2020, Excel est il toujours incontournable ? https:// www.usinenouvelle.com/article/avis-d-expert-excel-est-il-toujours-un-incontournable.N1017549
- (Panko, 2005) R.R. Panko « What we know about spreadsheet errors » Journal of organizational and end user computing, 2005
- (IDC, 2017) « The state of self-service data preparation and analysis using spreadsheets in Europe », An IDC InfoBrief, commissioned by altered, 2017